Qu’est ce que l’image selon nous ? Qu’est ce qu’un mythe ? Qu’appelle-t-on amour contrarié ?
L’image est une façon plus vivante et graphique de voir le monde. Elle permet la représentation d’un thème sous plusieurs angles. Au théâtre, elle est basée sur la mise en scène et l’interprétation des comédiens et du metteur en scène. Au cinéma, jeu de caméras et agencement des scènes ont un rôle plus qu’important dans la création artistique du réalisateur. Quant au monde de la littérature, l'image prend ici une autre tournure: comment, à travers des mots, exprimer une vision du monde? Dans la littérature, les images peuvent être définies comme l'évocation, au moyen de mots, de quelque chose qui fasse appel chez le lecteur au sens de la couleur, du relief, du son, du mouvement, ou à toute autre capacité de perception, de façon à imprimer dans son esprit une image de vie fictive qui devienne pour lui aussi vivante que n'importe quel souvenir personnel.
Le mythe est une notion problématique: étymologiquement, mythos (parole, discours), il renvoie à une chose imaginaire, voire un mensonge (ce qui a donné naissance, dans le langage courant, de "mythomane"). Mais le terme a également une valeur positive puisqu'il renvoie à une histoire dont le but est de répondre symboliquement aux questions essentielles que se pose l'humanité. Il explique comment une réalité a pris forme, comment s'est effectuée la création. Il est important de retenir que le mythe est un discours mensonger, dans le sens où son message n'est pas immédiatement intelligible, car il ne peut décrire ou exprimer la vérité qu'en images, c'est-à-dire de manière indirecte. Le mythe existe dès qu'une vérité ne peut s'affirmer clairement, sans le recours aux symboles qui la travestissent tout en l'énonçant. C'est comme un masque que les êtres humains poseraient sur leur vérité ultime, à laquelle ils ne souhaitent pas être brutalement confrontés, car elle ne correspond pas forcément à leurs espérances ou à leurs idéaux. D'autre part, comme il s'agit d'un récit plus ou moins fabuleux, il échappe à toute rationalisation, à toute logique, voire à la vraisemblance, d'autant plus qu'il est lié au sacré, à ce qui dépasse les contingences humaines.
On appelle amour contrarié un amour mutuel entre deux personnes qui ne peuvent cependant pas extérioriser cet amour à cause de l’intervention d’éléments perturbateurs tels la famille, les milieux sociaux, religieux, moraux. Une des figures de ce mythe est Roméo et Juliette, que nous traiterons comme l'oeuvre principale de ce TPE. Cette pièce est tellement célèbre qu'on connaît les grandes lignes de l'intrigue sans même l'avoir lue, car elle fait partie de notre mémoire collective. Shakespeare s'est inspiré d'une histoire peut-être vraie, reprise par plusieurs auteurs aux XVe et XVIe siècles. Il reprend l'histoire de deux êtres qui ont atteint un statut universel, atemporel, car à travers eux, l'auteur a exploré certains aspects de la condition humaine.
« My only love spung from my only hate » Juliette dans Roméo & Juliette, Shakespeare
Cette citation caractérise les interdits moraux et sociaux qui entravent Juliette à aimer celui qu’elle est censée considérer comme son rival.
Mais y a-t-il une représentation idéale de l’amour contrarié ?
Nous allons voir dans une première partie les modifications du mythe au fil du temps, sous ses différentes formes artistiques, et quels risques ces modifications ont pu impliquer, avant d’aborder dans une deuxième partie l’idée de l’existence même d’une représentation idéale de l’amour contrarié. Y a-t-il en effet une forme littéraire ou artistique propice à mettre l'amour contrarié en scène? et sur scène?
Cette légende est issue des mythologies grecque et romaine. Il existe deux versions indépendantes à propos de ce mythe : 1) Pyrame et Thisbé étaient follement amoureux l’un de l’autre, mais ils n’étaient pas encore mariés lorsque Thisbé tomba enceinte. Désespérée, elle se suicida, et Pyrame la suivit dans sa mort. 2) Pyrame et Thisbé étaient voisins et amoureux, mais leurs familles ne consentaient point à leur union. Ils décidèrent alors de se donner rendez-vous un soir, au pied d’un mûrier dont les fruits étaient blancs, pour s’enfuir. Thisbé arriva la première, mais surprise par une lionne, elle courut se cacher et dans sa fuite, elle fit tomber son voile que la lionne déchiqueta. Peu après, Pyrame arriva et, voyant le voile ensanglanté, crut que sa bien-aimée était morte. Désespéré, il se poignarda au pied du mûrier. Thisbé revenant, aperçut son amant suicidé, et décida de se tuer à son tour de désespoir. Le sang des deux amants abreuva le mûrier dont les fruits devinrent désormais sombres.
C’est cette deuxième version du mythe oral qu’Ovide coucha sur papier, dans ses Métamorphoses.
Voici le discours de Thisbé lorsqu’elle revient sur les lieux et qu’elle voit Pyrame agonisant :
« Ta propre main, dit-elle, et l’amour ont causé ta perte, malheureux. Mais j’ai une main, moi aussi, qui aura le courage d’en faire autant, et j’ai un amour qui me donnera la force de me porter ce coup. Je te suivrai dans la mort, et tous diront qu’au comble de la misère, j’ai été la cause et la compagne de ton trépas. Et toi, dont la mort seule, hélas ! pouvait me séparer, tu ne pourras pas, même par la mort, être séparé de moi. Ecoutez, cependant, notre commune prière, ô vous qu’accable le malheur, toi mon père, vous le sien : à ceux qu’un amour profond, à ceux que leur dernière heure ont unis, ne refusez pas d’être ensemble déposés dans le même tombeau. Pour moi, arbre qui de tes branches ne recouvre maintenant qu’un seul corps misérable, qui bientôt en couvrira deux, garde les marques du sang répandu, porte à jamais de sombres fruits, qui conviennent au deuil, en souvenir de notre double trépas. » Symbolisme : La scène se passe la nuit, symbole de la mort imminente, sous les fleurs rouges du mûrier, telles des étoiles de sang. Ils se donnent la mort sous un arbre, image de la vie en perpétuelle évolution, en ascension vers le ciel. L’arbre met en communication les trois niveaux du cosmos : le souterrain par ses racines fouillant les profondeurs où elles s’enfoncent (Pyrame et Thisbé seront enterrés), la surface de la terre par son tronc et ses premières branches (lieu de leur mort, au pied de l’arbre), et les hauteurs par ses branches supérieures et sa cime attirées par la lumière du ciel (ascension de leur âme). De plus, les fruits de cet arbre sont symbole des origines, et donc du retour à la terre par les deux amants, et connote également l’immortalité. Dans sa tirade, Thisbé s’adresse à plusieurs entités : principalement à Pyrame et aussi à ses parents, dont leur haine est la cause indirecte de leur mort, à qui elle exprime son vœu d’être enterrée avec lui. La mort est la seule façon pour les amants de se retrouver. Elle les libère d’une emprise charnelle et leurs âmes pourront se retrouver pour l’éternité. On retrouvera toutes ces thématiques dans de nombreuses réécritures, que nous aborderons par la suite.
Le mythe de Pyrame et Thisbé est représentatif de l’amour contrarié : on y retrouve les interdits familiaux et sociaux entravant leur amour, la fatalité du destin des deux amants, leur amour qui les a menés à la folie et qui transcende la mort. Le fait que l’arbre soit souillé par leur sang reprend cette idée de crime contre-nature.
- Un mythe médiéval : Tristan & Yseult
Cette légende fait son entrée dans la littérature au Moyen-âge, au XIIème siècle précisément. C’est l’histoire de Tristan, valeureux chevalier aux services de son oncle, le roi Marc de Cornouailles, et d'Yseult la Blonde. Leur passion naît durant le voyage qui doit mener Yseult à son futur époux, le roi Marc, lorsqu'ils absorbent par erreur un philtre d'amour qui était destiné à la nuit de noces, et qui les prend d'un amour inconsidéré. Yseult épouse malgré tout le Roi, mais continue à vivre son amour avec Tristan. Lorsqu’ils sont découverts, les deux amants s’enfuient dans la forêt du Morrois et vivent dans un dénuement complet. Un jour, le Roi les retrouve endormis, mais les gracie. A leur réveil, ils comprennent que le Roi les a épargnés, et c’est la séparation : Yseult retourne auprès du roi Marc, et Tristan s’exile en Île de Bretagne où il épouse Yseult aux mains blanches. Lors d’un combat, il est mortellement blessé ; il envoie quérir Yseult la blonde qui est la seule à pouvoir le guérir, en lui recommandant d’arborer une voile blanche ou noire selon le succès de sa mission. Mais sa femme, jalouse, lui annonce qu’elle a vu une voile noire. Tristan meurt alors de chagrin, suivi de peu par Yseult la blonde. Ils ont été enterrés ensemble en Cornouailles.
De nombreux artistes ont repris ce mythe, apparu au XIIe siècle, interprété d’abord par des troubadours sous forme de chanson de geste (récit en vers qui relate des épopées légendaires héroïques). La première version était de Cercamon, en 1135, suivi de la version de Marie de France, Le Lai du Chèvrefeuille en 1160, puis celle de Béroul en 1170, et encore celle de Thomas d’Angleterre en 1175, ce dernier ayant tenté d’en faire une version plus courtoise (La courtoisie met en scène la figure du héros preux, non seulement célébré pour ses faits de guerre mais aussi pour ses qualités morales et intellectuelles, et relatant l'amour indéfectible d'un homme pour sa dame, souvent inaccessible).
Voici le discours d'Yseult qui, après être arrivée trop tard, voit Tristan déjà mort. Ce passage correspond au parallèle de celui choisi pour le mythe de Pyrame et Thisbé.
« Ami, en vous voyant mort, je ne peux ni ne dois souhaiter vivre. Vous êtes mort par amour pour moi et je meurs de tendresse pour vous, mon ami, parce que je n’ai pu arriver à temps pour vous guérir et vous soulager de votre mal. Rien ne pourra jamais plus me consoler ni me réjouir, aucun plaisir, aucune réjouissance. Maudit soit cet orage qui m’immobilisa sur la mer et qui m’empêcha d’arriver ! Si j’étais venue à temps, ami, je vous aurais rendu la vie et je vous aurais parlé tendrement de notre amour. J’aurais plaint mon aventure, notre joie, nos plaisirs, la peine et la grande douleur que nous valut notre amour. Je vous aurais rappelé tout cela en vous baisant et en vous embrassant. Puisque je n’ai pu vous guérir, puissions-nous au moins mourir ensemble ! Puisque je n’ai pu arriver à temps ni déjouer le sort, puisque je suis arrivée après votre mort, je me consolerai en buvant le même breuvage que vous. Vous avez perdu la vie à cause de moi. Je me comporterai donc en véritable amie : je veux mourir pour vous de la même manière. »
Symbolisme: Dans ce discours, Yseult s’adresse encore à Tristan par « ami », et elle le vouvoie, manifestant une pudeur éternelle qui rend leur amour noble, même à travers la mort. On sent dans ce discours beaucoup plus que du désespoir ; la fatalité y est présente (« maudit soit cet orage »), car c’est en partie un accident naturel qui a empêché Yseult de rejoindre son amant, de la même manière que dans l’histoire de Pyrame et Thisbé, c’était une lionne qui avait engendré indirectement leur mort. De plus, élément nouveau, on sent la culpabilité d’Yseult quant à son incapacité à guérir Tristan. Elle se sent responsable de sa mort, et souhaite se donner la mort pour lui rendre la pareille. C’est là toute la force de l’amour : un échange mutuel, jusque dans la mort.
Le mythe de Tristan et Yseult présente les thèmes de l’amour malheureux car impossible, à cause de la trahison (Tristan a un devoir de loyauté envers son suzerain, qui est aussi son oncle) et de l’adultère (Iseut a un devoir de fidélité envers son époux), et de la mort, qui permet et promet l’union éternelle. Il est toutefois vrai que les infortunés ne sont pas responsables de cette passion coupable, qui est provoquée par un philtre, mais cet envoûtement figure et matérialise l’irrésistible force de la passion qui fait braver aux amants tous les obstacles.
Shakespeare s’est inspiré principalement de ces deux mythes - entre autres, bien entendu. Dans Roméo et Juliette, la trame est exactement la même que celle de Pyrame et Thisbé : deux amants qui ne peuvent vivre leur amour à cause des haines familiales, qui usent de stratagèmes pour se voir, et finissent par mourir sur un quiproquo. Pour ce qui est des sentiments, on retrouve également un fond inspiré de Tristan et Yseult : la quête perpétuelle du désir assouvi, les tiraillements intérieurs entre ce qui serait « bien » socialement, et le « bien »-être sentimental. Mais alors que Roméo et Juliette est une pièce tragique, le Songe d’une Nuit d’été reprend également cette histoire de manière comique et légère, dans une mise en abyme : on y retrouve une troupe de comédiens qui tentent de mettre en scène le mythe de Pyrame et Thisbé, mais ils sont tournés en dérision. Shakespeare fait preuve de contradiction quant à lui-même. D’un côté il veut mettre en scène « sérieusement » le mythe de l’amour impossible, mais d’un autre côté, il tourne son propre travail en dérision. On en arrive donc à notre problématique : ce mythe est-il représentable ? peut-on mettre l’amour sur scène ?
Nous prendrons ici l'exemple de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (un roman) et de Roméo et Juliette de Shakespeare (une pièce de théâtre) pour montrer les différentes représentations de ce mythe. Cette comparaison a pour but de montrer comment, à la même époque (XVIe siècle), deux auteurs se sont appropriés le mythe de l'amour contrarié avec deux genres différents, et de voir ce qu'engendre le choix du genre littéraire pour représenter l'amour contrarié.
LA PRINCESSE DE CLEVES :
Mlle de Chartres est élevée par sa mère, selon des principes moraux très rigoureux. Le prince de Clèves tombe amoureux d'elle, submergé par sa beauté et la demande en mariage. Mlle de Chartres accepte, bien que le sentiment qu'éprouve le prince de Clèves à son égard ne soit pas partagé. Elle rencontre le duc de Nemours lors d'un bal à la cour, ils tombent amoureux l'un de l'autre. Cependant Mme de Chartres découvre cette passion et met en garde sa fille. Mme de Clèves décide de se retirer à la campagne après avoir perdue sa mère et pour fuir le duc de Nemours, ne pouvant contrôler ses sentiments envers lui. A la demande de M. de Clèves, Mme de Clèves rentre à Paris. Elle n'est toujours pas guérie de l'amour qu'elle éprouve pour le duc de Nemours et est émue par ce dernier qui refuse d'être couronné, par amour pour elle. Elle voudrait fuir de nouveau celui qu'elle aime, mais ne le peut car son mari lui demande de rester à Paris. Quelque temps après, elle avouera à son mari qu'elle est éprise d'un autre homme, et que pour rester digne de lui, elle doit quitter la cour. M. de Nemours assiste, caché et invisible, aux aveux de la princesse. Par la suite, le prince de Clèves meurt de chagrin. La princesse est accablée de douleur et refuse de voir M. de Nemours, repensant sans cesse à la crainte de son feu mari de la voir épouser celui qu'elle aime. Ils se revoient tout de même une dernière fois avant que la princesse ne s'exile. Elle mourra quelques années plus tard.
ROMÉO ET JULIETTE :
Depuis de nombreuses années à Vérone, deux grandes familles, les Montaigu et les Capulet, se vouent à une haine incontrôlable dont on ignore la cause. Lors d'un bal masqué donné par les Capulet, Roméo (fils héritier des Montaigu) ainsi que Benvolio et Mercutio (d'autres Montaigu) décident d'aller à ce bal bien qu'ils n'y soient pas conviés. Roméo aperçoit alors Juliette et reste subjugué par sa beauté. Ils tombent amoureux mais sont accablés de découvrir qu'ils sont chacun tombés amoureux de leur pire ennemi. A la nuit tombée, Roméo se dissimule dans le jardin des Capulet. Puis il s'approche sous le balcon de Juliette et lui déclare son amour. Le lendemain, Roméo se confie au Frère Laurent qui lui promet de lui venir en aide et d'arranger son mariage avec l'espoir de réconcilier les deux familles grâce à cette union. Cependant Tybalt, cousin de Juliette, provoque Roméo en duel. Ce dernier le tue et se voit banni de Vérone. Juliette est accablée de chagrin. Son père décide alors de la marier au plus vite avec Paris sans son accord. Elle retrouve alors le Frère Laurent qui lui procure un philtre pouvant lui donner l'apparence de la mort pendant quarante-deux heures, on l'enfermera alors dans le tombeau des Capulet, le Frère Laurent préviendra Roméo du stratagème et viendra la chercher. Cependant, le serviteur de Roméo vient lui apprendre la mort de Juliette. Il part immédiatement à Vérone, ne sachant rien du plan établi par sa bien-aimée et le Frère Laurent. Arrivé à sa tombe, il rencontre Paris et le blesse mortellement. Il se donnera la mort à son tour, juste avant l'arrivée du Frère Laurent. Celui-ci assiste au réveil de Juliette. Découvrant le corps de celui qu'elle aime, elle se poignarde, et meurt à son tour.
Nous étudierons deux extraits significatifs dans chacune des deux oeuvres : celui de la rencontre, et celui du dénouement.
-Leur rencontre :
La Princesse de Clèves :
"Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec Monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le Roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il parut difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Madame de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement. Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et les Reines se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sans leur laisser le loisir de parler à personne, et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s'ils ne s'en doutaient point."
Roméo et Juliette :
"ROMÉO, à un serviteur Quelle est cette dame, là-bas Qui enrichit la main de ce cavalier ?
LE SERVITEUR Je ne sais pas monsieur.
ROMÉO Oh, elle enseigne aux torches à briller clair ! On dirait qu'elle pend à la joue de la nuit Comme un riche joyau à une oreille éthiopienne. Beauté trop riche pour l'usage, et trop précieuse Pour cette terre ! Telle une colombe de neige Dans un vol de corneilles, telle là-bas Est parmi ses amies cette jeune dame. Dès la danse finie, je verrai où elle se tient Et ma main rude sera béni d'avoir touché à la sienne. Mon cœur a-t-il aimé, avant aujourd'hui ? Jurez que non, mes yeux, puisque avant ce soir Vous n'aviez jamais vu la vraie beauté."
La rencontre des deux amants dans chacune des deux oeuvres est plus ou moins la même, elle se fait lors d'un bal, et chacun des amants est mutuellement ébloui par la beauté de l'autre: Roméo est ébloui par la beauté de Juliette, tout comme M. de Nemours l'est de celle de Mme de Clèves. Naît alors un amour réciproque dans le coeur des amants, bien qu'ils ne se connaissent pas. La fatalité a voulut que Mme de Clèves soit déjà mariée et, que Roméo et Juliette soient ennemis de par leur naissance, cela n'empêchera pas leur rencontre et le début de leur amour. Bien que leurs rencontres respectives se fassent lors d'un bal,les auteurs sont focalisés sur cet rencontre de telle façon qu'on ne voit qu'eux, comme si tous les regards des personnes présentes lors de ce moment étaient sur eux, cela intensifie leur rencontre, le monde qui les entoure disparait pour laisser place à leur amour naissant. Dans l'oeuvre de Shakespeare, les deux amants se parlent, cachés du regard des autres invités, et se donnent leur premier baiser, contrairement à l'oeuvre de Mme de la Fayette où M. de Nemours et Mme de Clèves se parlent mais de manière plus "officielle" puisque la discussion se passe devant Mme la Dauphine et d'autres convives, leur premier contact verbal est donc beaucoup moins violent et sensé que celui de Roméo et Juliette.
-Les choix qui émergent de leur amour :
Le choix des personnages de vivre ou non leur amour va faire émerger différentes possibilités, qui vont définir un amour plutôt psychologique (La Princesse de Clèves) ou un amour plutôt pulsionnel (Roméo et Juliette). Dans le roman de Mme de Lafayette, la princesse de Clèves décide, pour des raisons morales, de ne pas s'abandonner à M. de Nemours et donc, à ses sentiments. Elle va faire le choix de le fuir autant qu'elle le pourra, sans éveiller les soupçons de son mari, cependant elle lui avouera, sans dévoiler le nom de celui qu'elle aime, pour se libérer du poids de "tromper" son mari. De son côté, M. de Nemours va tous faire pour la voir et tenter la convaincre de se laisser aller les sentiments qui animent son cœur. Il refusera même un mariage qui l'aurait conduit à un couronnement par amour pour la princesse. La Princesse de Clèves vit un amour contrarié par les barrières qu'elle s'impose elle-même. Elle ne veut pas vivre pleinement son amour avec M. de Nemours par respect pour son feu mari et ne pas salir sa mémoire. Les barrières qu'elle s'impose sont le résultat de son éducation basée sur des valeurs morales très strictes. Elle se fuit elle-même et feint de fuir ses sentiments (et donc celui qu'elle aime). Contrairement au personnage de Mme de Lafayette, les deux amants de Shakespeare vont tout faire pour pouvoir être ensemble et vivre leur amour loin de ceux qui veulent leur nuire. Ils décident de se marier clandestinement avec l'aide du Frère Laurent, qui va les soutenir jusqu'à leur mort, il espère que de cet amour naîtra une nouvelle ère de paix entre les deux familles en guerre. Juliette ira jusqu'à se faire passer pour morte auprès de sa famille pour pouvoir fuir avec celui qu'elle aime. Contrairement à Mme de Clèves, Juliette veut fuir mais pour être avec Roméo, se sont ses sentiments qui la guident et non la raison. Les deux amants iront jusqu'à se donner la mort par amour. Même la mort ne peut pas arrêter leur amour mutuel passionné, ils s'enfuient dans la mort.
-Le dénouement :
La Princesse de Clèves :
"M. de Nemours se jeta à ses pieds, et s'abandonna à tous les divers mouvement dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles, et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion dont un coeur ait jamais été touché. Celui de Mme de Clèves n'était pas insensible et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les larmes : - Pourquoi faut-il, s'écria-t-elle q ue je vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves ? Que n'ai-je commencé à vous connaitre depuis que je suis libre, ou pourquoi ne vous ai-je pas connu devant que d'être engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ? - Il n'y a point d'obstacle, madame, reprit M. de Nemours. Vous seule vous imposez une loi que la vertu et la raison ne vous sauraient imposer. - Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dans mon imagination. Attendez ce que le temps pourra faire. Monsieur de Clèves ne fait encore que d'expirer, et cet objet funeste est trop proche pour me laisser des vues claires et distinctes. Ayez cependant le plaisir de vous être fait aimer d'une personne qui n'aurait rien aimé, si elle ne vous avait jamais vu ; croyez que les sentiments que j'ai pour vous seront éternels, et qu'ils subsisteront également, quoi que je fasse. Adieu, lui dit-elle ; voici une conversation qui me fait honte : rendez-en compte à monsieur le vidame ; j'y consens, et je vous en prie. Elle sortit en disant ces paroles, sans que monsieur de Nemours pût la retenir."
Roméo et Juliette :
"JULIETTE ô frère, mon réconfort ! Dites-moi où est mon seigneur, Je me souviens très bien du lieu où je devais être Et où je suis... Où est mon Roméo ?
des voix au loin
FRÈRE LAURENT J'entends du bruit, madame. Quittons ces lieux De mort et d'infection, de sommeils qu'honnit la nature. Un pouvoir contre quoi nous ne pouvons rien A déjoué nos plans. Venez, viens, viens, ma fille, Ton mari est là, contre toi, Roméo est mort Et Paris l'est aussi. Viens, je te trouverai Une communauté de saintes nonnes. Ne me questionne pas, car le guet approche. Viens, viens, chère Juliette. Je n'ose pas rester plus.
JULIETTE Va, sors d'ici. Je ne partirai pas.
Qu'est ceci? Une coupe, serrée Entre les doigts de mon fidèle amour! C'est le poison, je vois, qui l'a fait mourir Si prématurément! Tu as tout bu, avare, Tu ne m'a pas laissé une goutte amie Pour m'aider à venir auprès de toi? Mais je te baiserai les lèvres. Il se peut bien Qu'elles soient humectées d'assez de poison encore Pour que je puisse mourir de ce cordial. Elle l'embrasse. Que tes lèvres sont chaudes ! Le page de Paris entre dans le cimetière avec les hommes du guet.
LE GUETTEUR Conduis-nous, mon garçon. C'était de quel côté?
JULIETTE Du bruit? Bien, faisons vite. ô poignard bienvenu, Ceci est ton fourreau. (Elle se poignarde.) Repose là, Pour que je puisse mourir . Elle tombe et meurt sur le corps de Roméo. "
Bien que dans le fond, la fin de ces deux œuvres soit similaire (la mort d'un ou des deux amants), elle diffère cependant sur de nombreux points. La Princesse de Clèves, après s'être coupée du monde dans un couvent dans les Pyrénées, meurt de chagrin, quelques années après, de ne pouvoir vivre avec celui qu'elle aime mais ne remet en cause en rien son choix de s'exclure de la cour, preuve que dans certain cas la raison est plus forte que l'amour. Elle meurt de chagrin et d'amour pour M. de Nemours, elle se donne une mort lente plus psychologique que physique mais qui la tuera tout de même. Roméo et Juliette se tuent sur un quiproquo : Roméo se donne la mort sur la tombe de Juliette, ne sachant pas le stratagème élaboré pour cette dernière et le Frère Laurent. A son réveil Juliette voyant celui qu'elle aime mort, se donne une seconde mort, cette fois-ci pour toujours. Ils meurent aussi de chagrin, mais leurs morts est provoquée: elle est avant tout physique, là encore une action pulsionnelle des deux amants.
Nous avons vu avec ces deux œuvres que, malgré les deux genres littéraires différents auxquels elles appartiennent, l'amour contrarié commence et se termine de la même façon : deux personnes, lors d'un bal, fascinées l'une par l'autre, par l'aura qu'elles dégagent, s'ensuit la mort, de chagrin pour Mme de Clèves, et une vraie mort physique pour Roméo et Juliette. Cependant, les événements entre leur rencontre et leur mort diffèrent : d'un côté, nous avons la Princesse de Clèves qui refuse de se laisser aller dans ses sentiments et de vivre son amour avec l'homme qu'elle aime, d'un autre côté, nous avons Roméo et Juliette qui décident de tout braver et de tout quitter pour pouvoir vivre leur amour. Même si le choix du personnage de vivre ou non son amour influe sur l'histoire, l'amour reste néanmoins d'une force incroyable.
Cependant, l'adaptation du mythe est complètement différente selon qu'elle soit par Mme de la Fayette ou par Shakespeare. Les deux oeuvres appartiennent à des genres littéraires opposés : d'un côté nous avons affaire à un roman psychologique, où les pensées de la princesse de Clèves sont analysées, réfléchies, vues sous tous les angles pendant tout le roman. Il y a plus de réflexion que d'action, l'amour est plus réfléchi que vécu ; de l'autre côté, il s'agit d'une pièce pulsionnelle, où les amants sont emportés par leur passion en refusant d'en imaginer les conséquences. Ici l'amour veut être vécu, les amants sont prêts à ne vivre que l'un pour l'autre, quitte à refuser tout le reste du monde. Le choix du genre est la principale cause de cet amour réfléchi ou pulsionnel : le roman permet au lecteur de rentrer dans la psychologie du personnage, de connaître ses doutes et ce qu'il ressent, il n'y a pas de représentation, seulement le souci de montrer la torture morale endurée par Mme de Clèves face à ses sentiments. Au contraire, le théâtre est une représentation, les sentiments doivent donc être vécus pour pouvoir les représenter sur scène, d'où l'amour contrarié mais pulsionnel de Roméo et Juliette. Le fait que cet amour pulsionnel doit être représenté tourne cet amour en quelque chose d'excessif, voire même comique : mourir pour un coup de foudre relève d'un caprice enfantin, on jure son amour éternel à celui ou celle que l'on aime.
L'amour contrarié est donc représentable sous diverses formes. Le roman peut nous montrer les travers compliqués d'un tel sentiment avec une réflexion profonde, comme le théâtre nous permet plutôt d'exprimer la spontanéité et la force de l'amour.
Voici une autre vision que l'on peut avoir de l'amour contrarié, celle de Racine dans son œuvre Phèdre : du théâtre, mais celui de la parole.
Phèdre :
ACTE II SCENE 5
PHÈDRE Et sur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire, Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
HIPPOLYTE Madame, pardonnez. J'avoue, en rougissant, Que j'accusais à tort un discours innocent. Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ; Et je vais...
PHÈDRE Ah ! cruel, tu m'as trop entendue. Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur. Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur. J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime, Innocente à mes yeux je m'approuve moi-même, Ni que du fol amour qui trouble ma raison Ma lâche complaisance ait nourri le poison. Objet infortuné des vengeances célestes, Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes. Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout mon sang, Ces Dieux qui se sont fait une gloire; cruelle De séduire le coeur d'une faible mortelle. Toi-même en ton esprit rappelle le passé. C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé. J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine. Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine. De quoi m'ont profité mes inutiles soins ? Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins. Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes. J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes. Il suffit de tes yeux pour t'en persuader, Si tes yeux un moment pouvaient me regarder. Que dis-je ? Cet aveu que je viens de te faire, Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? Tremblante pour un fils que je n'osais trahir, Je te venais prier de ne le point haïr. Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime ! Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même. Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour. Digne fils du héros qui t'a donné le jour, Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite. La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper. Voilà mon coeur. C'est là que ta main doit frapper. Impatient déjà d'expier son offense, Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance. Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups, Si ta haine m'envie un supplice si doux, Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée, Au défaut de ton bras prête-moi ton épée. Donne.
Symbolisme:
La violence de sa passion est visible dès le début de la tirade avec le sens du mot "fureur" mis en valeur en fin de vers. Elle entraîne une douleur physique. Les mots "feux" et "larmes" appartiennent au vocabulaire traditionnel de la passion ; mais ici il y a une antithèse qui rend compte du débat intérieur de la lutte. La lucidité rend cette passion plus douloureuse encore : "fol amour", "odieux amour" , "feu fatal" : Phèdre sait qu'elle finira par en mourir. On voit qu'elle a lutté , avec la progression de "fui" à "chassé" et de "odieux" à "inhumaine" et enfin à "haine". Cette progression est à la mesure de sa passion mais sa lutte a été vaine. La passion est la plus forte, le vers "Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins." est une antithèse parfaite, une symétrie qui fait correspondre des réalités inconciliables. Phèdre se fait horreur d'autant plus qu'elle perçoit le dégoût d'Hippolyte , avec le terme "abhorre", qui est plus fort encore que "détestes" (il représente à la fois la violence, la haine et l'horreur), et qui fait écho avec "encor". Faute de pouvoir obtenir l'amour d'Hippolyte, Phèdre a tenté de s'en faire détester (pour exister aussi pour lui) par son comportement, à savoir l'avoir fait chasser par son père. Mais le dégoût du jeune homme ne vient pas de ce comportement, il vient de cet amour lui-même, ce qui est d'autant plus cruel pour elle. Le poids du destin apparaît à de nombreuses reprises. "Objet infortuné des vengeances célestes" montre que Phèdre n'est qu'un jouet dans les mains des dieux ("objet"). On notera dans ces vers également la répétition de dieux : "les dieux" puis "ces deux" avec l'emploi du "ces" pour insister et ajouter une nuance dépréciative (si les dieux remportent une victoire facile, cela sera indigne de leur part). "Le feu fatal" et l'allitération en [f] imitative et fiévreuse, et avec "à tout mon sang", montre que non seulement Phèdre mais aussi toute sa famille sont touchés par cette fatalité et que par conséquent, elle ne peut résister, c'est impossible. Cet amour est "fatal", il comporte donc en lui la destruction de Phèdre. Dès l'acte I elle voulait se tuer. La fascination de la mort réapparaît ici dans cette scène et l'entraîne irrésistiblement. Il y a répétition aussi dans le fait de donner la mort, à savoir, Thésée a tué le montre Minotaure, Hippolyte devrait tuer le monstre Phèdre("Digne fils du héros qui t'a donné le jour"). Mais c'est finalement le "monstre" Phèdre qui donnera, indirectement bien sûr, la mort, dans l'acte V scène 6, scène dans laquelle on apprendra la mort d'Hippolyte que Thésée avait banni et voué à la colère de Neptune, après avoir appris de la bouche d'Oenone qu'Hippolyte avait tenté de séduire Phèdre. L'amour contrarié est alors ici à son paroxysme. Ce n'est pas le milieu social ou la famille qui empeche cet amour de se concrétiser, mais une puissance divine. Et que peut elle faire contre des dieux?
Phèdre, et donc Racine, propose ici une analyse lucide et désespérée de la passion. Elle prendra donc la résolution de mourir pour échapper à l'horreur qu'elle inspire et qu'elle s'inspire. Dans cette scène qui est son deuxième aveu (la pièce en comporte trois), il y a toutefois une alternance entre la violence de la passion de Phèdre et la rêverie élégiaque, c'est-à-dire le plaisir nostalgique à se remémorer l'histoire de sa passion.
Some other representations...
Shakespeare created a whole myth based on Romeo and Juliet. Indeed, the two lovers’ death is definitely unchangeable and tragic, but they just seem asleep for eternity in each other’s arms. In our minds, their love is like a wonderful challenge to death. What is certain is that death does not only rush Romeo and Juliet in an abstract immortality, but also in a literary and artistic dimension that shows how constant and universal the myth they represent is. Romeo and Juliet is a very lasting myth since in every time, in every place, many artists used it and turned it their own way to prolong it, revealing new ideas and bringing a slightly changed answer to these eternal questions. We will essentially study theatric and cinematographic adaptations, because these artistic forms directly put on stage the “image” in all its splendor.
Franco Zeffirelli is an Italian director. His Romeo and Juliet won two Oscars. It was very successful because Zeffirelli tried to stay as close to Shakespeare's play as possible. The setting, the costumes, the scenario, and the music are realistic according to that period. He chose two unexperienced actors, who had the age of the protagonists (16 and 17), to act Romeo and Juliet, which gives a fresh and young dimension to the movie.
Here is Franco Zeffirelli's version, Romeo and Juliet (1968). We will study the part where Juliet discovers Romeo's body and kills herself.
In this version, Juliet has already been woken up by Brother Laurent, and then she sees Romeo lying on the ground. They are in a gloomy basement. She kills herself with a dagger. This scene is really faithful to the original play.
Baz Luhrmann is an Australian director. His William Shakespeare's Romeo + Juliet was very successful too, thanks to its great originality : the action is set in Verona Beach, Capulet and Montaigu are powerful industry managers, driving in limousines. Here, the "Prince" is a chief of Police, and the two gangs fight in the city with guns. Lurhmann mixes the styles, on one hand he visually updates the story, but on the other hand the dialogs remain true to Shakespeare poetry.
Here is Baz Luhrmann's version, William Shakespeare's Romeo + Juliet (1997). We will study the same part.
In this other version, Juliet opens her eyes right before she sees Romeo drinking the poison. They are on a sort of altar dedicated to Juliet. During a few minutes, they can still talk to each other. Here, Brother Laurent is not involved, the lovers are completely alone. When Romeo finally dies, Juliet takes his gun to kill herself. Maybe Luhrmann made this scene even more tragic, because the lovers had the time to see each other and realize their mistake before dying - it was only a matter of seconds...
Gérard Presgurvic is a French composer. His adaptation of Romeo and Juliet is a musical, very different from the Zeffirelli and Luhrmann movies because the play is acted on stage, and mainly because many songs complete the show.
Here is Gérard Presgurvic's version, Roméo et Juliette: de la haine à l'amour (2001). We will study the same part.
In this version, there is a third character : Death. Juliet wakes up near Romeo's body and her lamento is turned into a song before Death holds her the dagger. Juliet's song and gesture are overly acted and it appears a bit comical. Perhaps such a love can only be represented by something natural, true, that only cinema can show ; at the theater, everything is too huge, to dramatized, false. Then, we can wonder, why did Shakespeare write a play to describe such a love? Once again, that is maybe another of his contradictions...
Même si la vie fausse l’amour et nous empêche ainsi de pleinement ressentir nos sentiments, il est utile de préciser que l’on doit la vie à l’amour. Malgré les apparences, il n’y a pas une vie qui soit identique à une autre, un être semblable à un autre, et par conséquent un amour perçu de la même façon chez chaque individu. Alors qu’un fait de société, plus ou moins momentané, concerne chaque personne d’une même manière, car il est visuel, réel, ancré dans un contexte historique et dénué de toute perfidie digne de tromper l’esprit, une vision de l’amour va à l’opposé, tant elle ambigüe, chimérique, et trop souvent hypocrite, trompant en toute conscience des individus dotés de la plus grande sagesse. Telle une déesse infernale, elle nous attire, nous séduit, nous donne une raison de vivre, nous balade, nous manipule, pour finalement nous faire ouvrir les yeux sur une âpre réalité, et nous laisser mourir de chagrin. Ainsi, suivant chaque spectateur, une représentation de l’amour lui fera passer un message complètement différent car certains la percevront comme un aboutissement et une réussite, ils auront tendance à le rechercher, à s'y complaire et à le voir comme une finalité: être amoureux, c'est compter pour quelqu'un, c'est être heureux de savoir qu'il y a au bout du monde, quelque part, un écho à des sentiments de bien être et de bonheur. Pour d’autres, l'amour sera source de souffrance, d'irresponsabilité, de trahison, et de mensonges. Et cela, surtout lorsque se mêle au jeu des composantes détestables telles l'égoïsme, la lâcheté, et la superficialité. De même, personne ne donnera son amour d’une manière semblable. Certains, déjà tombés sous le joug de l’utopie, se laisseront aller à de long discours enflammés, et se donneront de tout leur être, comme le veulent les traditions ancestrales. D’autres plus prudents, ne feront qu’effleurer ce don si rare, conscients, malgré le bonheur qu’il peut apporter, de ses dangers. La représentation d’un amour contrarié ne délivrera donc pas le même message selon les spectateurs, elle serait alors donnée à titre de divertissement, pure hérésie dans le sens où il serait ignoble de parler ainsi de l’essence même de la vie.
En réalité, chaque forme artistique possède des avantages et des inconvénients. C'est pourquoi on peut dire qu'une représentation idéale existe, et n'existe pas. En effet, d'un point de vue objectif, ce n'est pas possible ; on qualifiera les plusieurs représentations de "différentes", mais on ne peut juger laquelle est la "mieux". Mais d'un point de vue subjectif, c'est le contraire, tout est possible, puisque tout dépend des goûts et des penchants du lecteur/spectateur : selon la vision qu'il a de l'amour, ses préférences littéraires ou au contraire s'il préfère aller au théâtre ou au cinéma, il sera plus sensible à telle ou telle forme artistique. Dans un monde où les artistes craignent les "clichés" (surtout à propos d'un tel thème, propice à de nombreux stéréotypes!), chacun est à la recherche d'une âme nouvelle à donner à ce mythe, et cette contrainte force justement à plus de créativité. On a bien vu que les visions de Shakespeare ne sont pas tout à fait les mêmes que celles de Mme de Lafayette, Racine, Luhrmann ou encore Presgurvic. Ces divergences font toute la diversité et la richesse de notre époque.